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Les souffrances underground du jeune Nostradamiaou

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Nom :
Lieu : Paris, France

10.3.05

Voiron, Big Apple Dauphinoise

Ca y est. J’ai fait le grand saut. Non content d’être célibataire, sans emploi ni argent, j’ai provisoirement adopté le statut de nomade en abandonnant mon logement. Evidemment, je ne suis toujours pas plus connu que reconnu par le public. Enfin, je fume - du tabac uniquement - je bois - tout ce qui se boit - et si je pouvais, je jouerais aussi aux sous chez Partouche. Maintenant c’est sûr, je suis écrivain. J’attends impatiemment les premiers emmerdements sérieux pour être élevé au rang des maudits.

J’ai tout d’abord transhumé vers mes parents, à Voiron. Là bas - pour vous - et ici - pour moi -vivent environ vingt mille épicuriens. J’en ai fait partie entre les ages de huit à dix sept ans. Une âme résidant à Voiron s’appelle un voironnais ou une voironnaise, selon qu’elle a joué à la guerre ou la poupée dans sa cours de récréation. Un vrai voironnais prononce le nom de sa ville avec l’accent dauphinois. Phonétiquement, ça donne approximativement « Voiréan ». C’est assez fun à entendre.

Pour rejoindre Voiron, il m’a fallu prendre trois métros, ligne 7 bis, ligne 11, puis ligne 1 ; puis le TGV jusqu’à Lyon ; puis un autre train jusqu’à Voiron. Il faut à peu près autant de temps pour faire les 490 kilomètres séparant Paris de Lyon que les 90 kilomètres éloignant Lyon de Voiron. Quand tu travailles à Lyon et que tu veux habiter ailleurs, tu as presque intérêt à habiter Paris plutôt que Voiron.

Pourtant, il y fait bon vivre, à Voiron. D’ailleurs, les gens y vivent longtemps. La vie y est plus longue qu’ailleurs. C’est le sentiment que ça donne. A cinquante ans, t’as l’impression d’en avoir vécu cent, des années. En effet, à Voiron, ce qui est bien, c’est que le temps ne passe pas vite. Ici, Tempus Fugit c’est pas du latin, c’est du chinois. Au mieux, la fuite du temps pour un voironnais, c’est un concept météorologique. Ca lui évoque la pluie.

Quand tu as entre 15 et 30 ans, que tu vis à Voiron et qu’il pleut pendant le week-end, tu as tout ton temps pour exprimer ta créativité. Pour ça tu as le choix : Réaliser des assemblages subtils et novateurs de bières avec différents sirops de fruits locaux; jouer au tarot et faire des annonces audacieuses sans roi ni atout en main ; voire - pour les plus créatifs - jouer au tarot en buvant des bières. Si tu n’aimes ni les bars, ni jouer au tarot, pas de panique, Voiron a tout prévu. Tu peux louer un DVD, devant lequel fumer un joint avec les copains est du meilleur effet.

En effet, si les boutiques qui ferment à Paris sont systématiquement remplacées par un traiteur chinois, à Voiron, quand une boutique ferme, elle est invariablement remplacée par un distributeur de DVD. Ca n’arrange pas le chômage certes, mais ça occupe les chômeurs. Voiron, c’est vingt mille critiques cinématographiques, particulièrement affûtés pour les films dont même télé 7 jours ne parle pas. Sur le territoire français, les films de Jean-Claude Vandamme et de Steven Seagal font la moitié de leurs entrées à Voiron.

A Voiron, plus qu’ailleurs, avoir entre quinze et trente ans, c’est être à un age charnière. Si dans ce laps de temps tu n’as pas trouvé ta moitié, tu finis vieux garçon. Pour les filles, la question ne se pose pas en ces termes. Les filles, à Voiron, qui ne sont pas enceintes du petit troisième à vingt cinq ans, sont majoritairement infécondes.

Géographiquement parlant, Voiron est une petite ville idéalement située au nord de Grenoble, implantée aux creux de montagnettes et dominée par la Vouise, monticule calcaire s’élevant à huit cent et quelques mètres d’altitude. Au sommet de ce dernier s’élève une grande statue qui veille jour et nuit sur le bled, telle la statue de la Liberté sur New York. C’est Notre Dame de la Vouise. Vachement moins sexy comme nom de statue que celle de big apple, je vous l’accorde. Faut pas se plaindre. Aux hasards des années et d’une toponymie défaillante, deux barres latérales auraient pu être ajoutées au « V » de Vouise le transformant en un « M » dont la ville se passe très bien.



Quand on monte sur les collines environnantes, on voit Voiron, en bas, dans le vallon. Elle n’est ni belle de loin, ni loin d’être belle. Mais la région est très jolie. C’est une ancienne ville industrielle qui fait son possible pour le rester. Le vers à soie a longtemps été la fierté du coin. De nombreuses et passionnantes conférences permettent de s’instruire sur le sujet tout au long de l’année. Vous trouverez le programme à l’office du tourisme à coté de chez Go Sport. Seulement voilà : le vers à soie, ça eut payé, mais ça paye pu. Alors à Voiron, on s’est tourné vers l’avenir. Il faut quand même préciser qu’à Voiron, la notion d’avenir est sensiblement la même que celle d’un capitaliste tuberculeux d’ex URSS. Voiron, c’est la mémoire in vivo de la mode capillaire d’il y a 15 ans. Leur futur, c’est ton passé.

Justement, il reste quelques glorieuses entreprises du passé pour employer un peu de ceux qui ont envie de travailler en intérim. Antésite par exemple. Cette boite fabrique une sorte de boisson marronâtre au réglisse qui servait de Coca aux enfants qui sont devenus nos parents. A part les vioques, plus personne ne connaît Antésite aujourd’hui donc, plus personne n’en achète. Pourtant, la boite existe toujours. Certains racontent que - et n’allez pas croire que c’est moi -, à l’instar des paysans français qui, une année touchent des subvention pour planter des pommiers parce qu’il n’y en a pas assez, puis l’année suivante touchent des primes d’arrachage de ces même pommiers parce qu’il y en a trop, Antésite produit, ne vend pas, détruit la production et perçoit des compensations bien méritées de la part de l’état. Je me garderai bien de colporter ce genre de médisances.




La vraie fierté de Voiron, le mythe qui l’a rendue célèbre dans le monde entier, c’est une autre boisson aussi spéciale qu’alcoolisée dont la couleur verte ou jaune provient paraît il des cent et quelques plantes utilisées pour sa confection : la légendaire Chartreuse… Seuls quelques moines connaissent et gardent jalousement la recette de ce fabuleux breuvage. Seuls quelques dingues en boivent. Je n’en connais pas personnellement, mais on me l’a dit. Le secret de leur mixture, aux moines, est donc jalousement gardé et, si je le sais, c’est que les dits moines le font savoir haut et fort à qui veut bien l’entendre. Ils espèrent, j’imagine, attiser la convoitise. La convoitise de qui, je ne sais pas, mais en tous cas en ce qui me concerne, ils ont raté leur coup. Leur recette, je m’en fous. A ma connaissance, d’ailleurs, aucun d’entre ces moines n’a jamais été torturé par qui que ce soit dans le but de lui faire cracher le morceau. Faut dire que les laboratoires pharmaceutiques possèdent déjà leurs propres vomitifs qui, eux, ne nécessitent pas de faire transiter par le gosier 70° d’alcool aller retour. Et dans nos temps où la douleur est au centre de tous les débats médicaux, vomir, c’est bien, mais vomir confortablement, c’est mieux.

Bref, revenons en aux beautés cachées de Voiron. Autour de la grande église, ses immeubles colorés donnent un peu de joie à une architecture éclectique. Voiron et New York sont décidemment assez proches. En effet, outre la statue et l’architecture éclectique, l’église a été attaquée par un camion il y a quelques années. Le drame du World Trade Center version voironnaise. Le camion avait foncé dans le bâtiment ecclésiastique. Bilan : effondrement d’une balustrade, 2 morts, 4 blessés graves, 4 légers, 8 personnes choquées. Attentat revendiqué par les mousquetaires de la distribution ; directement signé sur le camion. La version officielle est que le camion n’avait plus de freins mais quand on est voironnais, on ne peut s'empêcher de penser que l'attaque d'un symbole national comme l'église Saint Bruno, ça ne peut être qu'un coup de Al Qaida.



A l’époque, Philippe Vial, le maire de Voiron pas mécontent de passer au journal de vingt heures des chaînes nationales, avait précisé que le bilan aurait sûrement été beaucoup plus lourd si l'accident s'était produit la veille. En effet, la veille, c’était jour de marché à cet endroit là de Voiron. On pouvait le dire, on l’avait échappé belle. Moi je trouve quand même tragique que l’accident ne se soit pas produit au moyen age, pendant la nuit et en rase campagne, le bilan aurait sûrement été encore plus léger.

Voiron, donc, possède une église, comme toutes les villes de France de cette envergure mais aussi un cour du mail sur lequel se tient le marché deux fois par semaine – on l’a déjà vu-, la grande rue qui n’a de grande que le nom, une avenue de la République que je ne saurais pas situer, un hôtel de ville et son jardin et, bien sûr, le Mac Do, centre névralgique de la gastronomie régionale. Le reste est négligeable. Quand on connaît tout ça, on a fait le tour du propriétaire. Le Mac Do de Voiron, assez curieusement, c’est le plus gros chiffre d’affaire des Mac Do de l’Isère. L’exotisme plait manifestement aux Voironnais.

On ne peut pas parler de Voiron sans évoquer ses 28 bars. Le Central bar, bar le Voironnais, le Parisien, le bar du Mail, le Royal bar, le Sporting… Le patron de bar voironnais ne manque pas d’imagination quand il s’agit de baptiser son bouiboui. Il y en a tout de même deux qui ne se sont pas trop cassés : café chez Bouboule et bar Alex Raymonde. Même s’il est probable qu’à Paris, ça pourrait faire un carton des noms comme ça, à Voiron, non. En revanche, il y en a un qui sort carrément du lot avec le nom de son zinc : Dream River. Pour choisir un nom pareil, le mec a sûrement dû voyager au-delà des frontières de l’Isère. Un voironnais intrépide. Un putain d’aventurier. Si ça se trouve, il a même fait du marketing, le type.

C’est dans les bars où l’on peut être initié à la vie voironnaise. L’étranger qui pénètre l’un de ces palais de l’alcool affrontera certes dans un premier temps quelques regards transversaux et acerbes, mais les premières œillades meurtrières passées, l’hospitalité, la générosité et la serviabilité naturelle du voironnais se manifesteront sans retenue. Précisons qu’un étranger est une personne qui n’est pas connue des poches à gnôles accoudées au comptoir à ce moment là. C’est donc une notion assez vague et changeante. Je ne vous en dis pas plus, je préfère vous inviter à le découvrir par vous même.

Vous l’aurez compris, bien qu’elle ait quelques défauts, j’ai une affection toute particulière pour la ville qui a hébergé mes premières ivresses ; je pense à mes premières amours (Mumu se reconnaîtra) et mes premiers tours de mobylette. Un endroit où le soleil est aussi généreux l’été que le froid l’est l’hiver, à quarante minutes des premières stations de ski et vingt des premières baignades.

6.3.05

Pas de cadeau

Aujourd'hui, c'est la fête des grand mère. Alors bonne fête Mémé!

4.3.05

Mémé, le retour.

Mémé est songeuse. Elle n’a pas l’intention de se laisser emprisonner dans une maison de vieux par ses enfants. Son cinq pièces de cent trente mètres carrés, loi Carrez, aux Buttes Chaumont, il y a pas mal de monde qui le trouve sympa depuis la flambée des prix de l’immobilier. Les enfants les premiers.

Non, Mémé, on ne la lui fait pas à elle. Elle restera là, coûte que coûte. Il va falloir attendre encore un peu avant de la spolier. Elle n’a pas l’intention de passer l’arme à gauche dans l’immédiat. La botanique, ça ne la branche pas des masses Mémé. Les racines de pissenlits, malgré leurs vertus diurétiques, elle les étudiera plus tard.

La pendule achetée à Saint Malo après la guerre sonne, sortant Mémé de sa torpeur. Il est 14h00. Mémé se lève et se dirige vers la fenêtre. Il neige encore et ça n’arrange pas ses affaires. Elle a rendez vous avec la vie.

Comme son nom l’indique, le quartier des buttes Chaumont est situé sur une petite colline parisienne. Et une colline, ça a la particularité d’être en pente. Et les trottoirs glacés en pente, ça a la particularité de glisser méchamment. Mémé, le ski ça n’a jamais été trop son truc, surtout en talons. Elle porte toujours des talons Mémé. Elle continue en effet à prendre soin d’elle tous les jours, pour les trois sorties quotidiennes. Elle est plutôt coquette. Le boucher d’à coté lui lance toujours un « bonjour jeune fille » quand elle va acheter 80 grammes de bavette pour elle et 300 grammes de mou pour le chat. Dans ces moments là, elle ne le montre pas, mais elle est flattée.

Son chat, à Mémé, c’est ce qui compte le plus au monde pour elle. Lui, il s’en fout de son cent trente mètre carrés loi Carrez. Il a sa petite caisse en osier avec un coussin à fleur dedans, et ça suffit largement à son bonheur. Elle l’aime comme un fils et, prévoyante qu’elle est, elle lui a déjà réservé un emplacement au cimetière pour animaux d’Asnières.

Mémé est donc très ennuyée par la neige qui tombe. De ses trois sorties quotidiennes, elle a déjà manqué la première. Celle de 9h30. Trop dangereux. Mémé, il n’y a plus grand-chose qui lui fait peur, mais elle n’est pas non plus inconsciente. Son col du fémur n’a plus vingt ans contrairement à son esprit sarcastique. Cependant, c’est irrépressible, il faut qu’elle sorte.

- Je vais aller à la banque, se dit elle.

Et hop, Mémé enfile son manteau de fourrure acheté rue Saint Honoré. Le cadeau d’un prétendant quand elle était encore jeune et belle. En partant, elle n’oublie pas de prendre son parapluie. Son parapluie, elle l’avait récupéré à la Coupe d’Or, le restaurant Chinois en bas de chez elle. Elle aime bien manger Chinois. Un lundi soir, en fin de service, tous les clients étaient partis tôt. Elle était la dernière, seule à sa table et elle voyait que, dans le bac à parapluie, quelqu’un avait oublié le sien. C’était l’été et il ne pleuvait pas. Depuis combien de temps ce parapluie était-il là ? Peu importait, personne ne saurait qu’il ne lui appartenait pas. Et qui oserait mettre en doute la parole d’une dame de son age.

Son parapluie publicitaire Playstation II à la main, donc, Mémé sort de chez elle et prend l’escalier. Elle prend toujours l’escalier, deux étages à descendre, ça fait un peu d’exercice. Et puis surtout, une fois, elle était restée coincée dans l’ascenseur. Ce n’est pas un très bon souvenir, même si le pompier qui était venu la délivrer était joli garçon. Remarque, pour Mémé, en dessous de 30 ans, il n'y a que des jolis garçons.

Arrivée au pied de l'immeuble, dans la rue, mémé tâte le terrain du bout du pied. Le trottoir est légèrement blanchi, mais l’on voit des flaques d’eau. C’est bon signe, elle se lance. Direction la place Armand Carrel. Mémé, Armand Carrel, elle pourrait presque l’avoir connu. Il est mort en 1836.

Elle regrette un peu d’avoir mis des talons. Ca lui donne une démarche un peu bizarre, elle le sent bien. Ca l’aiderait sûrement, mais elle ne veut pas de canne. C’est pour les vieux les cannes. D’un pas aussi précautionneux que maladroit, Mémé arrive au passage piéton de la rue de Crimée. A cet endroit, la rue est drôlement pentue et les automobiles descendent à vive allure. Appuyée sur un petit poteau protégeant le passage piéton, elle attend impatiemment en reprenant son souffle que le petit bonhomme devienne vert. Ca y est, c’est vert, elle peut y aller. Sans hésiter, Mémé s’engage sans tenir compte de sa faible corpulence comparée à celle de la voiture qui arrive. Qu’à cela ne tienne, le petit bonhomme est vert et c’est à elle de passer. D’un mouvement de bras rageur qu’elle adresse au conducteur, elle salue le freinage d’urgence effectué avec succès. Mémé se marre intérieurement, elle ne s’est pas laissée faire. Mémé, un, les voitures, zéro.

Sur les trottoirs, il n’y a personne ou presque. En tous cas pas de vieux. Il neige. Toute la rue est pour elle. Elle est partagée entre un sentiment de toute puissance et le regret de ne pouvoir distribuer habilement quelques coups de parapluie dans le visage des passants. Le parc des Buttes Chaumont est fermé en raison des intempéries. Derrière les grilles, on aperçoit le temple de Sybille, en haut de la reconstitution des falaises d’Etretat. Il y a de la neige partout. Mémé trouve ça joli un instant, avant de penser qu’elle aimerait bien aller au parc. Elle n’y va jamais d’habitude, mais là, comme elle ne peut pas, elle aimerait bien. Ca la met d’humeur maussade. Quelqu’un va payer.

A cinquante mètre, elle aperçoit le Crédit Lyonnais. Elle est cliente du crédit Lyonnais Mémé. C’est une bonne banque. Mémé le confirme: "Crédit Lyonnais, une banque à qui parler". En plus de quarante ans, jamais un solde négatif. Elle se dit qu’on pourrait quand même lui en être reconnaissants. C’est une bonne cliente.

Au moment où elle arrive près de l’entrée, un jeune homme - habillé fraîchement selon elle - s’apprête justement à entrer. Les jeunes gens ne savent plus s’habiller. Il a l’air d’avoir froid et il ne l’a pas volé. Son manteau noir est couvert de neige. Il n’avait qu’à avoir un parapluie. Ca l’ennuie beaucoup d’arriver en second. Elle n’aime pas trop avoir quelqu’un devant elle.

Le garçon pousse la porte qui s’ouvre sans résister. Elle s’engouffre derrière lui, le forçant à lui tenir la porte. C’est bien la moindre des choses. Tout se perd. Il n’y a plus de valeurs. Le parapluie Playstation II est rentré lui aussi mais il bloque la fermeture de la porte. Sans regarder son visage, elle sent que le garçon la regarde en tenant la porte, regarde le parapluie coincé dans la porte, puis la regarde à nouveau. Quelle impertinence !

Ce qu’elle déteste, Mémé, c’est fermer un parapluie. Ca mouille les mains et ça goutte partout. Une fois qu’il est fermé, on ne sait jamais trop quoi en faire et on ne sait pas où s’essuyer les mains. C’est très gênant. Si elle pouvait, elle le laisserait par terre, ouvert dans le sas, mais c’est trop petit. Elle le ferme en s’approchant de la seconde porte puis le secoue en punissant le jeune homme de son arrogance de quelques gouttes d’eau.

A cet instant, mémé a un doute. Elle se demande si elle a bien emmené avec elle les cachets pour son ostéoporose. Mais où sont donc ses cachets. Elle vérifie dans son sac, dans la poche intérieure, là où elle les met d’habitude, mais ils n’y sont pas.

C’est très ennuyeux et ça la chagrine. Tout à coup, elle voit une main passer par-dessus son épaule et appuyer sur le bouton jaune qui déclenche la lumière rouge. Non mais en voila des façons ! La lumière devient verte. Mémé fait comme si de rien était jusqu’à ce que le jeune homme lui signale que la lumière est verte et qu’elle peut donc ouvrir la porte. Comme si elle ne le savait pas ! Il va voir de quel bois elle se chauffe puisque c’est comme ça.

Mémé pousse la porte. Comme elle le sait, puisqu’elle vient plusieurs fois par semaines, cela ne l’ouvrira pas. Pour l’ouvrir, il faut tirer. D’ailleurs, c’est marqué en gros. Ca l’amuse beaucoup de sentir le jeune homme devenir nerveux derrière elle. Elle fait ensuite semblant de ne pas avoir la force de la tirer, la porte. Et le jeune homme lui donne un coup de main. Hop ! Elle se faufile prestement par l’ouverture et entre glorieusement dans l’agence. Hé hé ! Non mais alors !

Elle se dirige alors d’un pas alerte vers Christelle, la guichetière. Elle porte le même chemisier que vendredi dernier, Christelle. Le décolleté est vraiment indécent. On aperçoit la naissance des seins.

Un regard vers le jeune homme qui est en train d’écrire sur une table haute, à droite. Il a un air perplexe. Sans connaître la raison de cette perplexité, Mémé se dit que c’est bien fait.

- Bonjour Madame Maurice, lance la guichetière d’une voix molle. Il ne fait pas chaud aujourd’hui ! Vous êtes bien courageuse de sortir par ce temps. Comment allez vous ?

Mémé, à part ses problèmes d’ostéoporose, elle est plutôt en forme. Mais elle trouve quand même quelques sujets passionnants sur lesquels deviser. Sa sciatique la fait souffrir, son diabète n’est pas au mieux… D’ailleurs, elle voudrait bien un verre d’eau parce qu’elle a un cachet à prendre, c’est urgent, il est 14h30, et il est l’heure de les prendre. Le docteur a dit qu’il fallait les prendre tous les jours, à la même heure. Il est bien gentil, d’ailleurs, le docteur. Monsieur Cohen. Il est bien gentil, mais il ne serait pas content s’il savait ça.

- Bien sûr Madame Maurice, répond Christelle. Je vais vous chercher votre verre d’eau.

Elle est bien aimable, Christelle. Elle l’aime bien, Mémé, cette petite, malgré son décolleté outrageant. Le verre d’eau arrive et Christelle avec. Pendant ce temps, les cachets ont été retrouvés. Mémé les avale aidée du liquide. Ils ont du mal à passer et elle s’y reprend à deux fois.

Mémé, elle avait retiré cinquante euros mardi, comme tous les mardi. Elle n’en a dépensé que vingt depuis, comme chaque semaine. Elle aura besoin de vingt euros d’ici mardi prochain, alors elle dépose sur son compte les dix euros restants, comme tous les vendredi. Il est donc temps d’y aller. Elle adresse un sourire à Christelle en lui tapotant la main qui se trouve traîner sur le guichet. A mardi.

Mémé s’en va, déçue que le jeune homme soit encore absorbé par ses papiers et qu’il n’ait pas eu à faire queue derrière elle. Finalement, tout ça est passé trop vite. Et si elle allait à Monoprix ? Oui, bien sûr, normalement c’est le samedi matin Monoprix, mais briser la routine audacieusement de temps en temps, ça ne fait pas de mal.

2.3.05

Neige sur cheveux blancs

Définition du jour:

Vaticination: Substantif féminin.
Action de prophétiser. Synonyme: prédiction, prophétie.
Souvent péjoratif. Prédiction emphatique ou prétentieuse.

Portrait du jour :

Aujourd’hui, comme souvent ces jours ci, il neige sur la capitale. La neige à Paris, c’est un évènement équivalent au 11 septembre à New York. Ni plus, ni moins. Dans ces moments là, les gens sont bizarres.

Ma conseillère, comme ils appellent ça dans les banques, m’a prévenu ce matin par téléphone que mon compte en banque avait la fringale. Un compte en banque, quand ça a faim, c’est comme un tamagotchi : c’est capricieux et faut s’en occuper rapidement. Toutefois, la grosse différence entre ton compte bancaire et un tamagotchi, c’est que la mort du tamagotchi entraîne un deuil moins long et moins douloureux que celui de ta carte bleue.

En début d’après midi, donc, je décide d’aller nourrir mon compte en banque en revenant d’un déjeuner d’affaires personnelles. Je m’arrête au Crédit Lyonnais, place Armand Carrel, près de chez moi. Armand Carrel, c’était un journaliste au 19em siècle. Je l’ignorais avant d’habiter les buttes Chaumont et je n’en avais même jamais entendu parler. Le père Carrel, selon mes sources, il aurait aussi tenté une carrière politique dont Google ne connaît pas grand-chose. Du coup, je m’en tiendrai à cette biographie sommaire d’un homme qui n’a pas marqué l’histoire mais dont tous les chauffeurs de taxi parisiens connaissent le nom.

Je m’arrête au Crédit Lyonnais, disais-je. En effet, je suis client chez eux. Il faut bien des patriotes pour rattraper l’affaire Executive Life. Certains appellent ça « des patriotes », d’autres appellent ça « des cons ». C’est selon. Et quand je dis client, je pèse mes mots. C’est un euphémisme. Toujours à découvert.

A l’aide d’un bouton poussoir jaune rainuré de coups de cutter par les gamins du quartier, j’obtiens aisément la petite lumière verte me signifiant que je peux pousser la porte. Je suis manifestement le bienvenu. Je pénètre le sas spartiate dont le paillasson usé et humide dégage une odeur acre et pas tellement agréable. Une dame âgée, en embuscade derrière moi, s’engage à ma suite, profitant que je lui tienne la porte. Dehors, il neige. Evidemment, elle a un parapluie. Grand, le parapluie. On pourrait s’en servir à la plage. Bien entendu, elle s’engouffre dans le sas parapluie ouvert. Elle manque innocemment de m’éborgner, sans un regard, avant de se souvenir que la porte ne se fermera pas si le parapluie reste en l’état. Et la porte, il faut qu’elle soit fermée pour ouvrir la seconde. Alors, elle ferme laborieusement son parapluie, accrochant tout sur son passage, son sac, son manteau, et moi.

Enfin, en prenant consciencieusement garde de se préserver, elle secoue nerveusement le dit parapluie pour le débarrasser des flocons fondus dont il la protégeait jusqu’à lors. Le chien qui revient de sa baignade ne se préoccupe pas réellement de ton bien être quand il s’ébroue à coté de toi. La dame, c’est pareil. Je n’évite pas une seconde giboulée sur mes chaussures. Et sur le tapis aussi. Je comprends pourquoi ça pue l’humidité, dans le sas.

- Tu fais chier Mémé, je me dis.

Mémé, c’est le genre à arriver après toi quelque part et à passer devant toi dès qu’elle en a l’occasion, sans scrupule apparent. Je me dis même que c’est un but qu’elle se fixe. Te griller ta place, c’est une fin en soi. Ca doit la faire triper. C’est en tous cas ce que m’inspire son indifférence à l’égard de mon geste aussi bienséant que normal : tenir la porte en souriant, ça ne m’a rien coûté. Ce doit être pour ça que Mémé elle s’en fout. Elle m’ignore. Pourtant, te passer devant, ça n’a pas d’intérêt pratique pour elle. Elle a le temps. Elle n’a même que ça à foutre de la journée. Faire la queue, ça l’occupe. Je m’interroge alors sur ses motivations profondes mais je perds mon temps, il n’y a pas d’explication rationnelle.


Nous voila dans le sas, avec Mémé dans les pattes. Reste à franchir la deuxième porte. C’est pas gagné. Mémé, on s’en doute, elle est passée devant moi et, dorénavant, ouvrir la deuxième porte lui incombe. Pour l’instant, elle cherche un truc dans son sac et pousser le bouton d’ouverture est le cadet de ses soucis. Je patiente, j’ai le temps moi aussi. Faut tout de même pas abuser et je me décide à pousser le bouton moi-même, passant mon bras par dessus de l’épaule droite de Mémé. Lumière rouge. Déclenchement d’un mini moteur électrique dont le bruit m'intrigue autant que la fonction qu'il remplit. Puis, simultanément, le clic et la prophétique lumière verte.

J’appréhende toujours que cette putain de lumière reste rouge, indéfiniment. En même temps, ça ne m’est jamais arrivé... Faut que j’arrête d’angoisser pour des conneries. Mémé, elle, pendant tout ce temps, elle avait surtout l’air angoissée de ne pas trouver ce qu’elle cherchait. Et comme elle n’a toujours pas trouvé, elle continue d’obstruer la porte comme si de rien n'était, la tête et les mains dans son grand sac. Peut être n'a t'elle pas vu que j'étais là? Ou alors elle s'en cogne? Peut être qu'elle a fumé un joint et qu'elle est à l'ouest? Défoncée l’ancêtre... Cette idée m’amuse quelques instants avant que je lui signale que la petite lumière qui est verte ne va pas tarder à passer au rouge et que, tant que faire se peut, ce serait bien qu’on en finisse avec ce foutu sas et qu’on entre dans l’agence.

Sortie de ses rêveries, Mémé tente avec autant d'insistance que de désespoir d’ouvrir la porte en la poussant. Puis, d’un éclair de génie, elle se décide à suivre les conseils de l’autocollant « Tirez fort » qui se trouve à la hauteur de ses yeux. Tirer fort, Mémé elle a du mal. Elle a déjà beaucoup poussé et ses forces se sont étiolées. Du coup, je l’aide un peu et me retrouve en position de lui tenir une fois de plus la porte. Ca lui offre l’opportunité de me coiffer sur le poteau en entrant la première dans l’agence. Pas un merci, rien. Ca y est, elle m’a grillé ma place. Mémé m’a battu, elle a du métier. Je crois que le mécanisme est rodé. Je n’avais aucune chance. Si encore elle avait l’air contente… Mais même pas.

Elle n’entend pas le « vieille peau » dont je la gratifie avec impudence, je n’ai fait que le penser. Sans sourire cette fois. Je pénètre dans l’agence dont la température affable me rappelle que dehors il fait vraiment froid. D’ailleurs, dehors, il neige encore.

L’heure de remplir la remise de chèque est venue. Qui est le tireur, qui est l’établissement payeur, montant, combien j’ai de chèques. Ils sont cons, eux. Des chèques, j’en ai qu’un… Sinon je ne serais pas au Crédit Lyonnais, je serais chez Rothschild.

Après deux brouillons péniblement esquissés, j’achève le remplissage du document carboné anti-ergonomique non sans manquer de me tromper une troisième fois. Me reste qu’à faire la queue pour le dépos. Sauf que la queue, il n’y en a pas. Et non : Il neige aujourd’hui. Les vieux qui d’habitude viennent chercher un peu de compagnie au guichet en retirant 10 euros - c’est leur alibi - ne sont pas sortis de chez eux. Il neige et les trottoirs sont casse-gueule. Les vieux normaux, aujourd'hui, il n'iront pas faire leurs courses en trois fois pour avoir trois caissières à qui parler à trois moments différents de la journée. Quant aux vieux les plus téméraires qui sont quand même sortis au mépris du danger, ils se sont probablement déjà fracturé le col du fémur aux aurores en allant promener leur chien - et néanmoins seul ami - après la traditionnelle chicorée. Pas de vieux... Pas de queue. Sauf Mémé qui est aussi coriace que vieille. Mais Mémé, elle a réussi son coup et elle a filé à l’anglaise dare dare pendant que je remplissais mon papier. Je suis donc seul. Presque déstabilisé.

Pas de queue. Incroyable. J’adresse un bonjour enjoué et courtois à la blonde aux cheveux gras qui se trouve derrière le comptoir.

- Bonjour… Me répond elle d’une voix molle. Quand on vous voit, on se dit qu’on est pas gâtés, ajoute t’elle en me dévisageant.

Furtivement, l’idée de lui foutre franchement ma main dans la gueule me traverse l’esprit. Finalement, j’opte pour un sourire amusé. Elle comprend son erreur et se confond en excuse.

- Non, heu… Ce n’est pas ce que je voulais dire. Heu… C’est à cause de la neige… Se croit elle obligée de préciser.

Je lui manifeste un pardon immédiat et je termine au plus vite notre entrevue, non sans avoir appris que ce matin, elle a mis trente minutes de plus que d’habitude pour venir en train au boulot. Foutue neige, va! Je dissimule facilement mon intérêt pour cette information en la saluant à nouveau et en me dirigeant vers la sortie. Re bouton jaune, re lumière rouge, puis verte, deux fois. Re le froid, re la neige. Mémé n’étant plus là, cette fois ça s’est bien passé.

Je sors en repensant à l’affaire Executive Life qui explique peut être pourquoi je paye 1 euros de frais quand je retire mon argent dans des distributeurs autres que ceux du Crédit Lyonnais. Faut les trouver les 600 millions d’euros qu’on doit aux ricains pour cette histoire. C’est scandaleux. Je pense aussi à Mémé qui m’a gonflé. Mais au fond, je m’en fous, demain soir il y a apéro à la petite porte à 19h30 avec les copains, et on va bien se marrer.

Connerie du jour:

La connerie du jour est peut être la connerie du mois, enfin pour moi.

Afin de réduire la voilure, financièrement parlant, je sous-loue mon studio, local poubelle compris. Je vais donc être sans domicile fixe à partir de dimanche soir et ce jusqu’au 15 avril, date plus favorable à une reprise des investissements.

Dans ce laps de temps, ma nouvelle adresse n’est ni le Pont Neuf, ni Châtelet les Halles, rassurez vous. J’aurai différentes bases arrières en Province. Toutefois, afin de ne pas perdre le contact avec Paris et les joies qu’elle me procure, j’invite toutes les bonnes volontés en ayant la possibilité matérielle et affective à se faire connaître afin qu’éventuellement, je passe une nuit ou deux en leurs logis en région parisienne au moment qui leur siéra le mieux.

Je savais bien que mon blog me servirait un jour.

Sinon, comme déjà évoqué : Jeudi soir, apéro à la Petite Porte désormais connue par l’initié sous le nom de « Small Tepor » et futur haut lieu du néo-surréalisme selon mes vaticinations. La soirée sera marquée par la présence de Maître Natale B. Il assurera une permanence juridique gratuite de 20h00 à 20h03. Soyez à l’heure, sinon c’est une carte de visite assurée. Les piliers seront bien entendu réunis.

Par ordre d’apparition dans le dictionnaire : Agnès, Fred, et moi.

Prétendants à l’ordination : Barbara, Julie, Nadine, Mehdi, Nelly and friend

Membre honorifique excusé : Vince

Rendez vous à partir de 19h30 pour les plus intrépides, les soiffards et ceps de vignes en tous genres. Pour les autres, vous êtes libres.

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